Ou comment la capitale de notre Pays est devenue une "petite Rome"
Par Jean-Bernard Elzière, historien, habitant du Pays d'Arles
En 46 av. J.C., Arles reçoit une colonie de vétérans, ceux de la 6e légion, dont l'emblème est un taureau. La Colonia Julia Paterna Arelate Sextanorum est née, qui devrait remplacer désormais Marseille comme place politique, religieuse et commerciale, parce que cette dernière a malheureusement joué Pompée (48 av. J.C) contre César (44 av.J.C).
A partir de sa fondation, la colonie d'Arles se développe beaucoup, du moins jusqu'au milieu du deuxième siècle de notre ère (constructions, par exemple, vers 50 apr. J.C., d'un cirque et, à la fin du premier siècle, d'un amphithéâtre, les actuelles arènes). Entre la fin du deuxième siècle - qui marque la fin de la période de "paix romaine", l'année 192 marquant ce qu'il est convenu d'appeler le Bas-Empire - et les années 310, le christianisme émerge à Arles, qui se traduit par la création d'un évêché, vers 250 (Trophime), et son évolution dans un contexte difficile d'invasions couvrant toute la seconde partie du IIIe siècle (en 257, entre 268 et 278, puis entre 289 et 292). A cette époque sont plus ou moins abandonnés des secteurs importants de la cité, comme celui de Trinquetaille situé sur la rive droite du Rhône, où des fouilles archéologiques ont mis au jour les traces d'un grand incendie survenu vers 260/275.
Vers 300, la cité d'Arles ne ressemble plus du tout à celle de 250, mais elle reprend vie bien vite quand, vers 307, Constantin Ier (306 à 337), fils de Constance Chlore, y établit sa résidence aux fins de disposer là d'une base bien placée stratégiquement entre les préfectures du prétoire de Milan (Italie) et de Trèves (Gaules), tout en étant proche de l'Espagne et de l'Afrique. Arles devient ainsi, pour quelque temps du moins, une véritable métropole, voire une sorte de petite Rome : en 313, l'atelier monétaire d'Ostie y est transféré, en 314, on y poursuit le concile d'Occident ouvert au Latran l'année précédente, en présence de l'empereur et de 46 évêques ou délégués d'évêque, en 316, des lois y sont signées et, le 7 août de cette dernière année, un des fils de Constantin lIer, Constantin II, naît dans la cité, Arles nommée en 328, "Constantina".
A la fin de 353, soit une quinzaine d'année après la mort de son père Constantin Ier (en 337) et après sa victoire de Mursa remportée sur l'usurpateur Magnence (350 à 353), Constance II (337 à 361) s'installe pour quelques temps à Arles, au moment même où se tient là un concile favorable aux Ariens : il est à noter qu'à cette époque, Saturnin, à la fois évêque d'Arles et chef du parti arien des Gaules,va assister aux conciles de Milan (355), de Beziers (356), de Rimini (359) et de Constantinople (360), avant d'être déposé lors de la réaction orthodoxe qui se produira sous l'empereur Julien l'Apostat (361 à 363). Selon l'historien Ammien Marcellin (env. 330 - en.400), excellente source pour la période 354 à 378, l'empereur Constance II a donné à Arles des jeux publics. C'est pour l'honorer que la cité a alors changé son nom pour devenir "Constantia". Dans son Ordo urbidum nobilium (clarae urbes VIII), Ausone (env. 310 - env. 395), qui a vécu à Trèves jusqu'en 385, évoque, aux côtés des grandes cités gauloises de Trèves, de Toulouse, de Narbonne et de Bordeaux, Arles - qui s'étend sur les deux rives du Rhône - et la qualifie de "Rome Gauloise" et de "ville double".
Au début du Ve siècle, l'administration impériale déplace, vers 403, la préfecture du prétoire d'Italie de Milan à Ravenne et, en 407, celle des Gaules située jusque là à Trèves sur Arles qui va, en conséquence, connaître une véritable renaissance un siècle exactement après Constantin Ier. Mais, dans le désordre général qui suit le franchissement du Rhin par les Alains, Suèves et vandales (31 décembre 406), un légionnaire romain du nom de Constantin, ayant pris le contrôle d'une partie des armées romaines, se pose en rival d'Honorius, empereur d'Occident (395 à 423). A Trèves et à Lyon pendant l'été 407, il marche sur Arles à la fin de cette même année - ou au début de 408 -, y entre, puis s'y installe comme empereur. Sa défaite sera consommée au printemps 411, d'où une purge qui conduira, notamment, au départ de l'évêque d'Arles, Héros, aussitôt remplacé en 412, par patrocle (426).
Le pape Zosime (417 à 418) confirme le rôle important que tient alors Arles, nouvelle préfecture du prétoire des Gaules, en nommant, le 22 mars 417, son évêque Patrocle "primat des Eglises de Gaule", le créant ainsi son vicaire en Gaule. Par ailleurs, par édit du 17 avril 418, reçu à Arles le 23 mai, cette cité est choisie comme lieu d'assemblée annuelle des sept-provinces du diocèse de Viennoise (Viennoise, Narbonnaise I et II, Aquitaine I et II, Novempopulanie et Alpes-Maritimes), laquelle assemblée doit se tenir chaque année entre le 13 août et le 13 septembre, en présence du préfet du prétoire, des gouverneurs des provinces, des nobles revêtus de dignités officielles et des députés des curies.
Dès 419, le successeur du pape Zosime, Boniface Ier (419 à 422), va bouleverser les données du problème en reconnaissant les évêques de Narbonne et de Vienne comme métropolitains, laissant cependant à Arles la tutelle religieuse sur les deux provinces de Narbonnaise Seconde et des Alpes-Maritimes.
Peu après, en 425 et 430, Arles subit deux attaques de la part des Wisigoths installés désormais du côté de Toulouse. C'est alors l'époque de l'évêque Honorat (426 à 429), qui aura pour successeur, Hilaire (429 à 449) - dont le sarcophage est conservé -, initiateur probable de la nouvelle cathédrale d'Arles située à la jonction du cardo et du decumanus (Saint-Trophime) et destinée à remplacer l'ancienne qui était située près du rempart et datait de l'époque constantinienne.
En 453, la cité d'Arles subit une nouvelle attaque des Wisigoths, mais elle tient encore le choc, grâce à la résistance orchestrée par le noble narbonnais Tonance Ferréol, préfet du prétoire des Gaules. A la fin de l'été 458, de nouveaux coups de butoir sont portés contre la ville par ces mêmes assaillants, désormais associés aux Burgondes, tous étant opposés à Marjorien, nouvel empereur d'Occident (457 à 461), dont le panégyrique est prononcé par Sidoine Apollinaire à la fin de 458 et qui entend détacher de la noblesse méridionale des Wisigoths. A l'automne de cette même année 458, Aegidius (464/465), maître de la milice des Gaules, rallié à Marjorien, est battu.
La cité d'Arles alors investie, mais bientôt, en 459, elle est dégagée par Marjorien qui nomme alors comme préfet du prétoire le Narbonnais Magnus. Les Romains et les Wisigoths de Théodoric II (453 à 466) se réconcilient. En fait, l'année 459 peut être considérée comme la dernière année de réelle "paix romaine" puisque c'est la dernière fois que la situation de l'Empire est rétablie en Gaule.
Le soulèvement des Suèves survenu alors va altérer l'entente entre le roi des Wisigoths et l'empereur Majorien qui décide, à son retour en Gaule, des rester à Arles pour maintenir la paix. Au début de 461, au palais d'Arles, Sidoine Apollinaire, "comte", est assis à la table de Marjorien, lors d'un repas où l'empereur a réuni autour de lui le consul Séverin, l'ancien préfet Magnus (nommé consul en 460) et d'autres sénateurs gaulois, comme Paeonius, l'ancien chef du parti marcellinien, sans doute pour établir une politique de concorde. Peu après, le 2 août de la même année, Marjorien est exécuté par les troupes de Ricimer (472), qui s'appuyant sur les Burgondes et les Wisigoths, désigne alors comme empereur (fantoche) Libius Severus (465).
La salle de réception ("aula palatina") du palais d'Arles - dont il reste de nombreux vestiges - mesurait 58 m de long sur 20 m de large et fut construite à l'époque de Constantin Ier vers 310. Elle doit avoir été à peu près équivalente celle de Trèves édifiée, pour sa part, exactement en 310 aux fins de servir de salle du trône au palais dudit Constantin (70 m x 30 m). Plus tard, le palais d'Arles sera utilisé par les rois mérovingiens et de Provence, puis connu sous le nom de "palais de la Trouille" (Trolha). En 1178, l'empereur Frédéric Ier "Barberousse" (1155 à 1190), passant à Arles, signera là des actes. Au XIIIe siècle, ce palais changera de fonction.
Le pape Hilaire (à 468), ayant institué des conciles gaulois annuels, voudrait redonner à Arles le siège primatial des Gaules, mais ce projet tournera vite court puisqu'en 476 les Wisigoths d'Euric investissent la cité, où ils resteront plus de trente années, ce qui contraint l'administration romaine à se replier sur l'Italie.Ce ne sera vraiment que lorsque Théodoric Ier (526), installé à Ravenne, étendra, vers 510, le régime impérial à ses annexions gauloises, en réinstallant une préfecture du prétoire à Arles, avec tout son cortège de dignitaires administratifs, qu'on croira le moment venu de replacer dans cette cité un vicaire pontifical représentant le pape auprès de l'épiscopat des Gaules et de l'Espagne, mais, pour des raisons politiques (montée des Francs, disgrâce ostrogothique…), ce projet ne pourra aboutir.
Quoi qu'il en soit, vers 469, Séronat, vicaire des sept-provinces, se conduit déjà comme un fonctionnaire d'Euric, en louant les Wisigoths, attaquant les romains, foulant les lois de Théodose II, proposant à leur place celles de Théodoric II, ordonnant aux hommes de se laisser pousser les cheveux et aux femmes de la couper, à la manière des Wisigoths… Tout cela lui vaut d'être arrêté par une noblesse divisée, qui comprend les partisans de Rome et ceux d'Uric, mais ne peut empêcher Euric d'écraser, en 471, l'armée du fils de l'empereur Anthémius (467 à 472) se dirigeant sur Arles et, peu après que Léon, évêque d'Arles, ait présidé un concile dans sa cité, vers 474/475, d'envahir, au printemps 476, la viennoise méridionale pour s'emparer d'Arles et de Marseille, ce qui irrite fort le roi Burgonde Hilpéric Ier. Désormais, les principales capitales wisigothiques (où sont les palais princiers) sont Bordeaux, Toulouse et Arles, mais c'est incontestablement cette dernière cité qui recueille la faveur d'Uric. C'est d'ailleurs là qu'il meurt, naturellement, en 484/485.
Une vingtaine d'années plus tard, en 507, les Wisigoths, attaqués par les Francs et les Burgondes ne pourront se maintenir sur Arles où s'installeront de suite, les Ostrogoths (509), qui y seront d'ailleurs bientôt assiégés par lesdits Francs et Burgondes (510). Un concile se tient dans la cité le 6 juin 524. Par la suite, en 536, les Francs acquièrent, par négociation, la Provence (avec Arles, Marseille…) de Vitigès, roi des Ostrogoths (536 à 565). A cette époque, ont lieu dans cette cité peut-être dans l'amphithéâtre, des spectacles suffisamment cruels ("spectacula cruenta") pour que l'évêque Césaire (542) s'en offusque et, vers 546/547, des courses au cirque (hippodrome) organisées par Théodebert Ier, roi des rhénans (533/534 à 547/548), successeur de son père Thierry Ier (511 à 533/534).
Après la mort de Théodebert Ier, survenue en 547/548, la cité d'Arles, contrairement à Avignon et Marseille, passera en totalité entre les mains des Francs saliens, qui ont hérité, à partir de 534, du royaume burgonde. Des faits nombreux le prouvent, comme la présence des évêques d'Arles à divers conciles saliens ou burgondes (Paris, Macon, Valence, Orléans en 549, Chalon sur Saône en 647-653…), ou le fait que Licier, évêque d'Arles (586 à 588), ait été un ancien référendaire du roi Gontran (561 à 592). Cela n'empêche pas des revendications ou des attaques de représailles : vers 568/569 , les armées austrassiennes de Sigedebert Ier (561 à 575) enlèvent la cité à Gontran , en 585, les Wisigoths de Récarède y mènent une expédition punitive permettant butin et prisonniers…
Il est bien d'autres évènements relatifs à Arles et à l'époque mérovingienne, toujours liés aux saliens. A l'époque du roi Childebert (558), la Thuringienne Radegonde (13 août 587), épouse du roi Clotaire Ier (511 à 561), ayant fondé un monastère à Poitiers (552) dédié à la Sainte Croix, vient à Arles avec son abbesse Agnès pour copier la règle monastique de Césarie, première abbesse d'Arles (529), dont le tombeau, comportant une inscription, fut retrouvé en 883. A la même époque, toujours sous Childebert Ier, un concile est tenu à Arles , le 28 juin 554, au cours duquel l'église Notre-Dame est consacrée. C'est à Arles aussi que, vers 567, Theudogilde, sans doute une Wisigothe, veuve de C(h)aribert Ier (567) - que s'est approprié le roi Gontran (561 à 592) - est enfermée chez des moniales arlésiennes, d'où elle essaiera de s'en enfuir avec un Goth.
QUELQUES PUBLICATIONS DE SYNTHESE : L. Duchesne, Fastes épsicopaux de l'ancienne Gaule, 2e édition, t. 1 (1907), 376pp., pp. 249-262. L.-A. constans, Arles antique, Paris, 1921. A. Chastagnol, « Le repli sur Arles des services administratifs gaulois en l'an 407 de notre ère », Revue historique, n. 505 (1973), pp. 4-40, ainsi que J.-R. Palanque, « Du nouveau sur la date du transfert de la préfecture des Gaules de Trèves à Arles », Provence historique, t. 23 (1973), nn. 93-94, pp. 29-38. E. Demougeot, « Constantin III, l'empereur d'Arles », Hommage à A. Dupont, Montpellier, 1974, pp. 83-125. J.-M rouquette, et Cl. Sintès, Arles antique, Imprimerie Nationale, 1989, 107 pp. Marc Heijmans, Duplex Arelas. Topographie historique de la ville d'Arles et de ses faubourgs, de la fin du IIIe siècles jusqu'au IXe siècle, Aix-en-Provence, 1997 (thèse universitaire) et, par exemple, J.-M. Rouquette, « L'Eglise d'Arles aux Ve et VIe siècles, et la mission (pp. 23-37) et, du même auteur, « Les monuments chrétiens d'Arles au Vie siècle » (pp. 201-211), en L'Eglise et la mission au Vie siècle. La mission d'Augustin de Cantorbéry et les églises de Gaule sous l'impulsion de Grégoire le Grand, 2000, Cerf, 424 pp. (actes du colloque d'Arles de 1998).